Les tonneaux en bois se convertissent en ameublement

Hanaa Khachaba Nevine Ahmed Dimanche 26 Juillet 2020-11:29:39 Dossier
Les tonneaux en bois se convertissent en ameublement
Les tonneaux en bois se convertissent en ameublement

La fabrication des tonneaux est un métier d'art ancestral qui nécessite un grand-savoir. Les tonneliers, dont la doigté demeure surprenante, imaginent, façonnent, créent des pièces d’art à usages multiples. Au-delà de simples conteneurs en bois dans lesquels on conserve des liquides ou d’autres produits, les barriques se convertissent aujourd’hui en ameublement cosy et rustique, séduisant pas mal de gens qui partent à la recherche de l’originalité et de la simplicité.

                   

 

 

Dans une les rues de Wikalet Al-Laymoun, dans le quartier d’Al-Anfouchy à Alexandrie, l'odeur du bois ancien inonde l’endroit. Les passants entendent des sons stridents sortant d'un atelier de fabrication des tonneaux d'à côté. Le va-et-vient de la scie mêlé au tintamarre des marteaux dessinent un tableau typique de cette ruelle où les ateliers de fabrication des tonneaux en bois fleurissaient dans un temps lointain.

Aujourd’hui, cet artisanat est en danger. Ce métier traditionnel s'ajoute, hélas, à d'autres qui sont en voie de disparition. De nombreux ateliers ont fermé leurs portes, suite à l'apparition du plastique dont l'utilisation, généralisée vu son coût modique, finit par remplacer rapidement le bois.

« Ma passion pour mon métier me pousse à y rester fidèle par crainte de sa disparition », confie l'ousta Moustafa Arafat (mot désignant maître que les Egyptiens emploient pour s’adresser aux artisans). Moustafa est le plus ancien propriétaire d'un atelier de fabrication des tonneaux en bois à Alexandrie. Vieux de 58 ans, son atelier a l'air intemporel. Cette petite échoppe a résisté aux aléas du temps pour donner de l'espoir à son propriétaire qui l'exerçe depuis 40 ans.

« J'ai ouvert mon premier atelier en 1942. Les Occidentaux furent les premiers à introduire cet artisanat en Egypte. Mon père tenait son art de ces étrangers qui y excellaient de façon étonnante. La fabrication des tonneaux est un métier ancestral. J'ai appris les astuces du métier de mon père qui, à son tour, en était imprégné grâce à mon grand-père », raconte l'ousta Moustafa Arafat qui se rappelle avoir appris cet artisanat à l'âge de 18 ans.

« Au début des années 2000, l'utilisation du plastique a fait carton. Coût inférieur à celui du bois, couleurs gaies et variées, poids léger, les conteneurs en plastique envahissaient les marchés. Ce n'est cependant pas bon pour la santé », note le propriétaire du plus vieil atelier dans la région. Moustafa Arafat se désole de voir ses produits engloutis par le plastique. « Ma clientèle se fait de plus en plus rare », dit-il tristement, en avertissant que les récipients en plastique abîment les épices et le poisson salé, et nuisent subséquemment à la santé.

Quant à Adel Baramilo (Baramilo est un surnom dérivé du mot arabe BARMIL qui signifie tonneau), ce tonnelier affirme que cet artisanat est fatigant. « Lorsqu'on fabrique un tonneau en bois, on devient à la fois menuisier et forgeron », explique-t-il. Bien que ce soit épuisant, Baramilo insiste à faire perdurer ce patrimoine ancestral en apprenant à son fils les règles du métier. Mais le fils de Baramilo a refusé de se lancer dans cet art. Il redoute avoir à l'exercer jusqu'à sa mort, poussé par un sens de responsabilité envers « la pérennité de la tradition familiale ».

« Je ne veux pas passer ma vie à scier et à marteler », dit le jeune homme qui voit venir le déclin de la fabrication des tonneaux en Egypte. Il explique que les principales causes sont, outre le manque de patience et de persévérance des jeunes générations, les formes et les designs restés figés à travers le temps. « Ceci pousse la clientèle à tourner le dos aux classiques à la recherche de nouveautés plus adaptées à leurs besoins », poursuit celui qui ne veut pas assurer la relève.

Les conditions dans lesquelles vivotent des petits métiers traditionnels nous interpellent aujourd’hui à un moment où notre société est marquée par le modernisme à outrance des modes de consommation. Ces arts artisanaux sont en voie d’extinction, victimes de la technologie, de la machine, et de l’esprit de modernisme qui mettent à mal la main créatrice de l’artisan. Celui-ci est à présent perplexe, ne sachant quoi faire, ni comment sortir de l’impasse.

Toutefois, des dizaines à l’image de l’osta Arafat et d’Adel Baramilou, continuent de braver les circonstances et le temps pour faire survivre leur art.

Il faut donc les aider à sauver tous ces petits métiers, en difficulté, qui renferment encore toute notre mémoire artistique et culturelle du patrimoine national traditionnel. Il vaut mieux encourager notre artisanat et faire en sorte qu’il renaisse dans de meilleures conditions en lui créant un environnement adéquat pour qu’il puisse répondre aux critères socioéconomiques, et surtout aux nouvelles exigences de compétitivité.

Ce qu’il faut dans l’immédiat c’est d’accélérer la construction de nouvelles cités regroupant tout l’artisanat égyptien et mettre à contribution les derniers « oustas », pour qu’ils puissent léguer leurs secrets techniques et tout leur savoir à une élite composée de vrais passionnés ayant le souci de l’authenticité identitaire. S’ajoute à cela, la création et l’octroi d’ateliers plus spacieux et plus confortables favorisant la créativité dans le domaine artisanal. Il faut de même attirer les investisseurs et les hommes d’affaires à certains secteurs porteurs comme le tapis, la fabrication des tonneaux en bois, le mobilier sculpté, la maroquinerie... cet art utile à l’urbanisme, entre autres !

« L’utilisation des tonneaux en bois dans la conservation des épices, du fessikh (poisson salé) et du poisson en général est sain », reprend l’ousta Baramilo. Les tonneaux sont aussi utilisés dans le décor intérieur des maisons. Le secret de cet artisanat est simple : éviter toute fuite ! L’artisan enduit de cire les parois intérieures du baril puis y met de la paille. Une fois rempli d’eau, le tonnelet, imperméable, gardera le poisson salé, ou le poisson frais très bon. L’ousta Baramilo dit fièrement que même les machines à glace sont fabriquées à partir des tonneaux en bois. « Les barils venaient de la Russie à bord des grands navires de charge. Les tonneaux sont ensuite assemblés, recyclés et vendus à une entreprise opérant dans la fabrication de l’amidon et de la levure », indique Baramilo.

« Les tonneaux 25 x 25 sont composés de 5 lattes de bois. La latte de bois suédois coûte 45 LE. Le tonneau fait donc 300 LE alors que dans les années 90, il ne coûtait que 10 LE », s’exclame-t-il. « Mon atelier exportait des tonneaux vers l’Italie, la Libye et les Etats-Unis. Le dernier baril s’est envolé pour l’Angleterre pour servir au remplissage de la bière », se souvient Baramilo.

Au-delà de la méthode de fabrication artisanale orchestrée par le tonnelier de Bahary à Alexandrie, Adel Baramilou, chaque autre tonnelier s’en remet à ses cinq sens, une perception savamment aiguisée pour réciter ses gammes lors de la fabrication de la barrique, toujours avec le même envie de bien faire, le souci du détail qui fait la réputation des tonneaux fabriqués dans la « sirène de la Méditerranée », Alexandrie.

« La compétence sensorielle est importante », confie Adel, ajoutant que les sens, le ressenti sont des notions autour desquelles on échange beaucoup dans l’atelier de fabrication.

Il poursuit « Les douelles, composantes principales de la barrique, sont ensuite alignées à l’aide d’une table de montage. La fabrication débute alors sous les nombreux coups de marteau experts du tonnelier qui, ajustant les douelles une par une, forme ainsi sa barrique à l’aide de cercles de montage ».

« La chauffe est l’étape primordiale dans la fabrication du tonneau, c’est le révélateur », explique Adel Baramilou. Le moment est venu pour le tonnelier d’exprimer son identité propre, sa griffe. Mariant subtilement les propriétés de deux éléments que tout semble opposer, le feu et l’eau, l’artisan donne sa forme au précieux contenant, mettant en valeur la qualité du bois minutieusement sélectionné, sublimant chacune de ses caractéristiques afin d’obtenir l’harmonie parfaite avec le produit qui sera élevé à son contact. Tout au long de trois heures, le tonnelier exerce son art et transmet sa sensibilité à la barrique ainsi façonnée, selon une méthode artisanale qui ici tout son sens.

Vient ensuite le rognage. La barrique ayant adopté sa forme cintrée, il est temps pour le tonnelier de lui ajuster ses deux fonds, deux extrémités dont le rayon est déterminé à l’aide d’un compas. L’aspect unique de chaque pièce est ici un peu plus renforcé par ces mesures jamais identiques d’un fond à l’autre. Le tonnelier utilise ensuite une rogneuse pour aménager les fentes au sein desquelles les fonds viendront s’ajuster pour assurer l’étanchéité de la barrique. Une fois les cercles serrés un peu plus, celle-ci est testée lors de l’échaudage.

Après le rognage, la finition. Lors de cette étape, la barrique va prendre sa forme définitive aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. L’aspect soyeux du bois et son côté chatoyant est obtenu grâce à un premier ponçage. Les cercles de montage, complices du tonnelier dans la quasi-totalité des étapes de la fabrication, cèdent alors la place aux cercles en acier ou en fer. La beauté et la maille du bois, toute la noblesse du bois bien taillé et poli, apportent la touche finale à la barrique. Celle-ci ne va contenir ni du poisson salé, ni des épices, ni des liquides. Ces beaux tonneaux « cousus-main » se convertissent en ces temps modernes en ameublement hors du classique. Des tables, des sièges, des paniers et des pièces de décor sont fabriqués à partir de ces barriques au grand bonheur d’une jeune clientèle à la recherche d’ameublement pratique et inhabituel à la fois. La demande de ces tonneaux est aussi en hausse dans les bistrots et restaurants qui cherchent un décor cosy et rustique.

En véritable artiste fier de son œuvre, Adel Baramilou est résolu à assurer la relève dans cet art familial dans l’espoir de le sauver d’un sort triste, celui de la disparition…

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